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Céline Basset – Blue Soil

Nous avons tous les deux posé nos vélos chez nos parents. Nathan dans les Bouches-du-Rhône et Victor en Ardèche. Mais les deux compagnons de voyage que nous sommes ont décidés de se retrouver pendant 1 semaine au moulinage de Chirols afin de découvrir ce tiers-lieux incroyable mais aussi de prendre le temps de décanter notre voyage et d’imaginer la suite.

Pendant cette petite semaine, nous avons profité d’une journée pour faire une petite excursion dans la Drôme et aller voir une actrice de la transition : Céline Basset et son association La Ferme Blue Soil.

« Partir du microbiote intestinal pour en arriver au microbiote du sol. » Voilà comment Céline résume son parcours. En 2014, elle est atteinte d’une grave infection au Candida Albicans (champignons qui peut provoquer des infections du microbiote intestinal) et perd plus de 20kg. Elle prend alors conscience de son microbiote intestinal et que sa bonne santé est conditionnée à ce qu’elle mange. Elle en déduit assez vite que notre survie, en tant qu’humanité, dépend de la bonne santé de notre planète et de ses écosystèmes.

Céline a démarré son activité de chercheuse paysanne agricole et ses recherches en créant plusieurs fermes expérimentales à l’étranger où elle a passé plusieurs années entre la France, le Vietnam, la Birmanie, le Niger, les Etats-Unis et le Canada. Diplômée initialement d’un master recherche en sciences humaines et sociales, elle se forme en aquaponie aux Etats-Unis et dans les pays asiatiques où cette pratique est industrialisée. C’est aux Etats-Unis qu’elle fait la rencontre du Docteur Elaine Ingham et se forme à son approche de la microbiologie du sol. Elle intègre alors le réseau soil food web.

Depuis, elle a développé une nouvelle manière de faire de la culture en eau qu’elle nomme la microbioponie. C’est la culture de micro-organismes en solution dans le but de réensemencer les sols et de les régénérer.

Nous retrouvons Céline dans la ferme de Sabine à Labégude de Mazenc. Elle souhaite d’abord nous faire constater sur le terrain l’état actuel des sols français. La ferme sur laquelle nous arrivons a vécu près de 40 ans en agriculture conventionnelle. Il s’agissait alors de cultures céréalières. En 2012, Sabine a racheté la ferme et cultive depuis en agriculture biologique et en agroécologie. Cette information est importante à retenir. Vous le découvrirez par la suite.

L’entrée de la ferme de Sabine
Nathan devant la maison de Sabine située en plein coeur de son exploitation

Au total, la ferme s’étend sur 8 hectares sur lesquels on retrouve de la vigne à destination de vin de table et des fleurs. La vigne était la production initiale de la ferme. Mais celle-ci n’étant pas rentable, la roseraie a pris petit à petit plus de place. La ferme n’est pas l’activité principale de Sabine. Elle fait en parallèle des diagnostics de biodiversité dans d’autres exploitations.

Sabine a fais appel à l’accompagnement de Céline car ses vignes ont de gros problèmes de productivité depuis le début. Malgré de nombreuses solutions agronomiques testées (magnésium, cuivre, etc.), rien n’y fait, elles ne lui rapportent même pas 3000€/an en moyenne.

Le constat ? Les sols de la ferme de Sabine sont très pauvres et très tassés. En effet, le travail du sol effectué à l’époque a créé des semelles de laboures profondes par le tassement causé par le passage de gros tracteurs mais aussi des semelles plus superficielles (2cm à 5cm) causée par la battance de la pluie sur des sols nus. Résultat : le sol s’érode. A certains endroits, on observe une perte de 20 à 30cm de terre malgré l’enherbement que l’agricultrice laisse entre les pieds de vigne depuis 12 ans. Normalement, le sol a une fonction d’éponge et de rein : d’éponge car son rôle est d’absorber l’eau qui tombe et de la retenir, et de rein car la microbiologie du sol rend à celui-ci sa structure. C’est à dire que le sol redevient poreux, aéré et contient des passages qui permettent l’infiltration des eaux et leur filtration. Les tests d’infiltration réalisés sur la parcelle de Sabine ne sont pas très concluant. L’eau ne s’infiltre pas du tout.

Céline mène donc ici une expérimentation sur une petite parcelle sur laquelle elle analyse la vie du sol et développe des itinéraires techniques permettant de la régénérer. Elle garde à côté une parcelle témoin sur laquelle elle n’effectuera aucun changement afin de pouvoir comparer ses résultats.

Pour Céline, il existe 2 grandes catégories d’organisme dans le sol :

– les décomposeurs : bactéries et champignons : leur rôle est de produire des enzymes et de décrocher les nutriments de la roche mère. Ils permettent également de décomposer la matière organique.

– les prédateurs : les protozoaires, la nématofaunes et les micro-arthropodes. Les protozoaires vont manger les bactéries. Les nématodes peuvent également être des prédateurs des bactéries mais ils vont aussi manger des champignons et des autres nématodes. Certains nématodes peuvent être sources de bonne santé, tandis que d’autres, en milieu anaérobie vont grandement impacter tout cet équilibre.

Le rôle des prédateurs est de rendre les nutriments biodisponibles pour les plantes. En mangeant les décomposeurs, ils vont transformer les nutriments pour les rendre biodisponible et les rejeter dans leurs excréments. Le docteur Elaine Ingham appelle cela le « poop loop », ou « cycle de la merde » . C’est comme cela que se font une grande partie des cycles biogéochimiques. Les systèmes forestiers ne nous ont pas attendus pour le faire.

Quand on parle de la vie du sol, la plupart des gens pense tout de suite au vers de terre. Ils ont raison car c’est ce que l’on voit à l’œil nu. Céline intervient, elle, à une échelle beaucoup plus petite, invisible. Toutefois, le ver de terre reste très important car, dans son microbiote, il a toutes les catégories d’organisme mentionnés précédemment. C’est pour cela que le ver de terre doit de préférence rester local. Plusieurs études montrent que certains vers de terre européens ont été introduit aux Etats-Unis et on détruit certaines forêts. Tout simplement car la microfaune qu’ils contenaient dans leur microbiote n’était pas adaptée à l’environnement local.

Ce que nous commençons à comprendre ici avec Céline c’est que le sol est comme une empreinte digitale. Il n’existe pas UN sol mais une multitude de sol. Chaque sol a ses propres caractéristiques physico-chimiques (pH, etc.) et biologiques (composition en micro-organismes, etc.).

Le camion qu’utilise Céline pour se déplacer de ferme en ferme
La roulotte transformée en laboratoire microbiologique par Céline

Pour l’expérimentation qu’elle mène ici, Céline a tout d’abord du caractériser la microfaune des sols présents sur la ferme de Sabine. Pour cela, elle a réalisé une cinquantaine d’échantillon en différents lieux de la parcelle. Il faut un minimum de 30 échantillons pour que cela soit statistiquement recevable.

Ici, sur cette parcelle test, Céline n’observe qu’une seule catégorie de micro-organismes, celle des bactéries. Les autres grandes familles sont complètement absentes (champignons, nématodes, etc.). Même en bordure de la forêt longeant la parcelle, Céline ne retrouve pas toutes les catégories. Elle est obligé de s’enfoncer au cœur de celle-ci pour bien visualiser les 5 familles de micro-organismes.

Une fois que l’empreinte digitale du sol étudié est connue, Céline va chercher à cultiver les micro-organismes manquant avec ce qu’elle appelle du « compost microbiologique » pour fabriquer les inoculums qu’elle va ensuite réintroduire dans la parcelle. A chaque fois, les inoculums sont cultivés sur place directement dans les fermes. Elle élabore, avec les ressources locales (matière organique à disposition), différentes « recettes »  dans l’objectif de trouver celle qui correspondra à la situation actuelle de la parcelle. En effet, Céline nous explique que la matière organique peut être apparenté au menu que l’on cuisine au restaurant des micro-organismes. Si tu es une bactérie, tu préféreras la matière azotée. Si tu es un champignon, tu vas préférer la matière carbonée, ligneuse, etc. En fonction du menu que l’on va servir au sol, la microfaune ne va pas évoluer de la même manière. Par exemple, sur un sol à dominante bactérienne, on va observer des matières ligneuses qui vont rester plusieurs années car il manque le champignon qui va permettre de les dégrader.

Le compost, tel qu’il est majoritairement réalisé aujourd’hui, est une digestion anaérobie des micro-organismes. D’après Céline, c’est contre-productif car les organismes qui nous intéressent vivent en condition aérobie (avec oxygène). On note toutefois que la lacto-fermentation peut être bonne pour les brassicacées et les moutardes car ces solutions sont à dominante bactérienne et non fongique.

Pour trouver la bonne recette, Céline va donc réaliser différents compost microbiologique contenant par exemples différentes teneurs azotées (fiente de poule, crottin d’âne, herbe fauchée, etc.) et donc différents ratios C/N (carbone/azote). Certaines teneurs vont permettre de plutôt cultiver les bactéries, d’autres les champignons, etc. On fait ensuite monter en température et humidifie les matières comme on peut le faire habituellement avec du compost. La particularité ici c’est que les compost sont fais à sec pour éviter l’anaérobie. Chaque compost est analysé au microscope afin de déterminer les ratios de micro-organismes (% de nématodes, % de champignons, etc.).

Avant d’épandre l’inoculum correspondant à la parcelle, il faut décompacter le sol. Si le micro-organisme évolue dans un sol compact, il va se mettre en dormance car il va manquer d’oxygène alors que l’organisme anaérobie qui n’est préférentiellement favorable que pour des cultures restreintes (brocoloi, kale, etc.) Les pathogènes préfèrent généralement les sols hydromorphes, tassés et peu oxygénés (<4ppm). Ainsi, au tout début, la première chose à faire avant de réensemencer le sol, c’est de le labourer une dernière fois pour casser la première semelle de tassement. Tout de suite après, on va venir épandre la « soupe microbiologique ». Il faut donc en produire en grande quantité.

A terme, l’agriculteur devra apprendre cette recette lui-même et devra être capable de l’appliquer pendant plusieurs années jusqu’à temps que la « mayonnaise prenne ». Pour cela, Céline utilise des sceau comme unité de mesure facile à reproduire pour les agriculteurs. Une fois que la microbiologie est réintroduite, l’agriculteur n’a plus besoin d’appliquer cette recette. Toutefois, il ne peut pas reprendre ces méthodes habituelles. Il doit adapter son système de manière à favoriser les méthodes d’agroécologie. Selon les résultats obtenus par le Dr Ingham depuis 1996, la régénération d’un sol avec cette technique d’ensemencement peut prendre 2 à 4 ans. Cela varie principalement en fonction de la qualité des élevages microbiens et des capacités de reconstruction de l’habitat.

Avec l’association Blue Soil qu’elle a créée, Céline possède un camion-laboratoire qui lui permet d’aller de lieux en lieux pour réaliser des campagnes d’échantillonnages. Sur tous les échantillons qu’ils ont pu récolter aux quatre coins de la France ces 3 dernières années, les membres de l’association observent systématiquement la sur-présence de populations bactériennes avec parfois des organismes anaérobies tels que des protozoaires ciliés. La problématique du tassement du sol est observé également partout. C’est la première cause de l’asphyxie des sols.

Grâce au Plan Alimentaire Territorial des collectivités territoriales, Céline accompagne aujourd’hui 7 fermes comme celle de Sabine dans le département de la Drôme. Ici, il s’agit de vignes mais dans d’autres fermes c’est plutôt de l’horticulture, du maraîchage, des plantes médicinales et de la céréales. Au total cela représente environ 300 hectares de cultures. Selon elle, chaque ferme représente différentes étapes de la succession écologique du sol. Si demain quelqu’un achète une parcelle où le sol est de très mauvaise qualité, il va devoir passer par différents types de cultures avant de pouvoir obtenir un sol riche et diversifié en micro-organismes.

Ce que l’on observe en écologie des écosystèmes, c’est que la nature va toujours chercher à tendre vers la forêt, un écosystème très résilient et qui possède beaucoup de biodiversité. Pour cela, elle va devoir passer par des étapes intermédiaires. Ces différentes successions visibles à l’œil nu par l’être humain du point de vue végétal ne sont finalement qu’une suite de successions microbiologiques. C’est le docteur Ingham qui théorise cela. Au départ, quand on commence au « stade du cailloux », on retrouve pratiquement aucun micro-organisme ou seulement quelques bactéries. Tant que l’on reste sur un niveau inférieur à la prairie, la dominante du sol est bactérienne. Quand on veut faire son potager, du maraîchage ou de l’horticulture, on cherche à être dans l’étape d’après et à se retrouver avec autant de bactéries que de champignons dans son sol. Dès que l’on est sur de la vigne ou de la roseraie, on cherche  à avoir un sol avec une dominante fongique. Dans cette vision du sol, on travaille donc sur des indicateurs composés de ratios des différentes familles de micro-organisme que l’on retrouve dans un sol.

Céline en train d’expliquer à Nathan son protocole expérimental
Céline en train d’analyser un échantillon sous nos yeux

Lors de notre visite, nous avons la chance de pouvoir rentrer dans le laboratoire installé sur les parcelles expérimentales que s’est créé ici Céline dans une roulotte présente sur le terrain de Sabine. Avec elle, nous avons pu observer les micro-organismes présents dans le sol de la parcelle test. Céline utilise une méthode microscopique qui permet d’observer les micro-organismes vivants en action dans leurs milieux. Dans la microbiologie usuelle exercée dans le monde, on observe des échantillons morts (brûlés, colorés au bleu de trépan, etc.) au microscope électronique, ce qui revient à prendre une photo de micro-organismes morts donc peu représentatif du fonctionnement en milieu naturel. C’est pour cela que les méthodologies sont complémentaires, l’une plus taxonomique et l’autre fonctionnelle. 

Avec le Soil Food Web, elle utilise un logiciel en open data qui permet de collecter les données internationales des sols de différents climat et pays. C’est une grande communauté mondiale qui échange ses data. La méthode qu’elle utilise est calibrée et standardisée afin que toutes les données soient rentrées de la même manière et puissent être comparées entre elles. Dans cette méthodologie, Céline n’a pas besoin d’identifier l’espèce exacte de chaque micro-organisme qu’elle observe. Elle ne va pas dans ce niveau de détail et se cantonne à la famille. Ensuite, dans son échantillon, avec un protocole de dilution, elle compte le nombre d’organisme dans chaque famille : nématodes, amibes, champignons, etc. Elle peut également utiliser certaines colorations pour faire ressortir le caractère pathogénique de certains champignons.

A l’issue de son parcours, Céline a construit un point de vue originale sur la vie du sol et en particulier sur l’utilisation des engrais. Pour elle, les plantes sont des « dealeuses de sucre ». Une fois qu’elles peuvent réaliser la photosynthèse, elle vont libérer des exsudats au niveau racinaire et foliaire. Ces exsudats sont « la cam » des micro-organismes. C’est leurs sucres. Elles concluent alors « un deal » avec les micro-organismes : « tu vas me chercher mon fer qui est là-bas et je te donne mon sucre. » De son point de vue, lorsque l’on utilise des engrais, on casse cet échange qui a lieu entre les micro-organismes et les plantes. Elles peuvent alors faire le choix de se passer complètement des micro-organismes. Ceux-ci décident donc de se mettre en dormance, de s’en aller ou de mourir s’il y a un travail du sol répété. L’utilisation d’engrais serait donc contre productif pour la microbiologie du sol. L’objectif final de Céline est d’arriver à suffisamment régénérer le microbiote du sol de manière à ce que les agriculteurs n’est plus besoins d’engrais, un subtil équilibre entre rendement, rentabilité et régénération. Elle cherche donc à trouver le moyen d’éviter que la vigne de Sabine puisse se comporter comme dans la nature et éviter qu’elle soit perfusée aux engrais.

De la même manière, pour elle, penser qu’il existe une solution générale qui s’appliquerait à tous les sols c’est penser les sols comme une surface inerte, ne pas comprendre que chaque sol à son empreinte digitale, ses caractéristiques. Les Efficient Micro-organisms (EM = microorganismes que l’on va cultiver en laboratoire) sont pour elle pas adapté au microbiote local. C’est une bonne chose dans le sans où il s’agit d’un premier pas vers la microbiologie mais c’est encore une vision en silo du sol qui dans certains cas peut être dangereuse. Par exemple, lorsque l’on va aujourd’hui cultiver du Trichoderma en laboratoire (champignons qui va attaquer les organismes pathogènes) et que les agriculteurs l’applique sur leur sol, celui-ci va au final détruire non seulement les pathogènes mais aussi toutes les autres micoryses présentes dans le sol. Il va prendre toute la place. C’est le même phénomène que l’on observe avec un peu près tous les « Efficient Micro-organism ». Céline a donc une approche différente de la vision développée par l’entreprise Toopi Organics que nous avons pu rencontrer au début du voyage.

L’association Blue Soil est une petite association. Elle n’a aucun salarié pour le moment. Céline Basset possède en parallèle son entreprise « laboratoire santé du sol » avec lequel elle fait des diagnostics et accompagnement d’agriculteurs sur leurs itinéraires techniques. Elle met donc ses compétences scientifiques et agricoles au service de l’association pour toutes les missions de sensibilisation. L’association est aujourd’hui très peu subventionnée et souhaiterait lever plus de fonds pour pouvoir développer son activité et diffuser ses méthodes à un monde plus large que celui de l’agriculture. Les membres de l’association sont principalement des militants et des geeks agronomes, statisticiens ou graphistes.

Après un repas succulent avec Sabine, nous nous rendons chez Céline. Depuis désormais 3 ans, elle s’est installée dans une maison sur la commune de Dieulefit où elle y a installée sa ferme. Avant de commencer la visite, Céline nous montre sa méthode pour cultiver très facilement des micro-organismes chez soi avec du lombricompostage. Comme précédemment, elle cherche à maintenir des conditions aérobiques perpétuelles. Pour cela, elle a fais de nombreux trous dans son bac pour laisser passer l’air. Les robinets permettant de récolter les lixiviats sont continuellement ouverts afin de ne pas les laisser stagner au fond du bac. La seule difficulté consiste à essayer de maintenir 60 à 70% d’humidité dans son lombricompost tout en l’aérant car sinon, les vers de terre vont migrer ou mourir. Dans le lixiviat, on retrouve très peu de micro-organismes car il faut une pression importante pour les décrocher de la matière. Pour cela, elle utilise donc du matériel spécifique composé d’un filtre à 400 microns sur lequel elle exerce une pression de 5 bars de recueillir les micro-organismes. Le matériel qu’elle utilise est très simple. N’importe qui pourrait l’utiliser pour faire un élevage domestique de micro-organismes.

En parallèle de sa démarche de régénération des sols, Céline a développé un système qu’elle appelle « la microbioponie » (contraction des termes microbiologie et hydroponie signifiant culture dans l’eau).  C’est ce système que l’on va découvrir en visitant sa splendide serre semi-enterrée bioclimatique construite grâce à un chantier participatif. En entrant dedans, on découvre que tout est fait à partir de matériau de récup.

Pas de chance, le système est en maintenance. On ne pourra pas le voir fonctionner. Toutefois, cela va nous permettre de comprendre réellement son fonctionnement.

Tout le système fonctionne en circuit fermé. Au départ, un bassin (ancienne fosse sceptique) est remplit initialement avec de l’eau de pluie collectés sur le toit de sa maison. En effet, l’eau de ville est chlorée et ne sera donc pas un bon substrat pour cultiver des bactéries et des protozoaires. Ensuite, un petit dégrilleur est installé en sortie de cuve afin d’éviter que certaines feuilles ou racines ne s’introduisent dans la deuxième partie du système. La pompe utilisée pour envoyer l’eau dans la suite du système est de 5 bars. Légèrement en-dessous des 8 bars afin de maintenir les micro-organismes présents en suspension dans le système. Ici, il n’y a pas de poisson. Céline utilise son urine pour remplacer le fertilisant naturel apporté généralement par les poissons en aquaponie classique.

Les tubes de PVC dans lesquels poussent les plantes de Céline en microbioponie
La cuve en début de système dans laquelle elle apporte ses quelques intrants (urines, etc.)

L’eau passe ensuite dans un filtre tourbillon permettant de séparer les matières solides des liquides. Puis, les liquides passent dans une enceinte cylindrique (tonneaux  recyclés) comprenant des paquets de billes d’argiles et de pouzzolane entourés de moustiquaire qui constituent ainsi les « nids » des bactéries. Ce sont des substrats poreux qui vont pouvoir accueillir les bactéries. Au fond de cette enceinte, plusieurs bulleurs sont installés afin d’apporter de l’oxygène et de garantir des conditions aérobies. L’étape finale est le passage de l’eau chargée en bactéries dans de longs tubes en PVC montés en parallèle dans lesquels des plantes pourront être plongées. Les trous fait dans ces tubes de PVC sont en quinconce afin que les plantes ne se touchent pas les unes des autres.

Céline a réalisé son expérimentation pendant plusieurs années au cours desquelles elle a alimenté son système avec sa propre urine. Son expérimentation est rigoureuse. Céline contrôle méticuleusement combien de litres d’urine elle met dans son système. Elle mesure ensuite le pH, la température et fais des tests NO4, NO3 et NO2. Elle peut parfois aussi mesures des paramètres tels que le CO2 et l’oxygène dissous dans l’eau. La manière de stabiliser son système est la suivante : elle recueille ses urines chaque matin puis les déverse dans la cuve de départ et dès que le système une certaine valeur d’électroconductivité, elle arrête. A partir de ce moment là, elle peut partir en vacances et tout est à l’équilibre.

Lorsqu’elle ajoute son urine, elle remarque systématiquement une baisse de son pH. Pour elle, c’est le signe que les bactéries sont vivantes et qu’elles font bien leur travail. Elle ajoute alors un petit peu de bicarbonate de soude pour rééquilibrer son pH et parfois un peu de fer lorsque ses urines en manquent.

Avec ce système, la phrase « je suis ce que je mange » prend tout son sens. Pendant son expérimentation, Céline faisait donc très attention à ce qu’elle consommait afin d’avoir des urines « parfaites » : pas d’alcool, pas d’antibiotiques, pas d’anti-inflammatoires, pas de traitement hormonal, pas de cigarettes, etc. Elle faisait même attention au nombre de litres d’eau qu’elle buvait en journée afin de gérer la dilution de ses propres urines. Elle n’a pas expérimenté avec les selles car elles contiennent de nombreux pathogènes et qu’elle ne sait pas les gérer pour le moment. Cela viendra peut être par la suite dans d’autres expérimentations.

Ce que critique Céline dans l’aquaponie classique, c’est que l’on cherche aujourd’hui à faire du poisson une ressource financière. Pour elle, cela complique les choses car le poisson apporte la microbiologie du système via son intestin. Lorsque l’on change de cheptel régulièrement, on créé alors un déséquilibre microbiologique qu’il est difficile de retrouver par la suite. De plus, si l’on élève des poissons, pour être cohérent, il faut bien les nourrir. Cela veut donc dire non à la farine animale et aux granulés. Quand elle avait une ferme au Vietnam, elle élevait des grillons et autres insectes pour nourrir ses poissons. Cela prend également beaucoup de temps. Ici, elle préfère utiliser ses urines. Les limites actuelles de son système sont liées à la réglementation de l’utilisation des urines au niveau européen et national.

Pourtant, son système est très productif. Avec 15m², Céline arrive à produire 1,5 repas végétal par jour. Elle avait fait le calcul lors du congrès mondial de la nature à Marseille en 202. Elle avait imaginé pouvoir installé son système sur un parking de 5000m². D’après elle, il aura pu produire environ 240 000 assiettes végétales par an. Tout cela, pour un dispositif low tech qui lui a coûté environ 3000 €. De plus, sa maintenance prend environ 1h maximum par jour. Une fois par an, il reste toutefois nécessaire de le vider et de le nettoyer entièrement afin d’éviter que le biofilm qui se dépose sur les parois des tuyaux en PVC n’attaquent l’acier galvanisé. Globalement, elle nettoie tout le système avec du vinaigre et le soleil (des UV) afin de pouvoir le redémarrer en toute tranquillité. 

La sortie du « nid à bactéries », une répartition de l’eau chargée entre les différents tubes de PVC
Nathan qui interroge Céline sur ses cuves de récupération des eaux pluies

Initialement, l’idée de Céline est d’utiliser la ferme microbioponique comme un outil de transition. En cas d’effondrement du système alimentaire, les sols ne sont pas encore fonctionnels et opérationnels pour produire suffisament de nourriture sur le territoire sans les perfusions externes (engrais). L’enjeu est justement de sortir le système nourricier des dépendances externes et financières à moyen et long termes.La ferme microbioponique et ses hauts-rendements pourrait alors être utilisée le temps de retrouver des sols riches et diversifiés en micro-organismes. L’avantage c’est qu’il peut très bien être installé n’importe où en contexte urbain (cité, parking, usine désaffectée, etc.) afin de produire de la nourriture pour la ville. Seul contrainte, il faudrait élire un urineur ou une urineuse professionnel qui se sacrifie pour la communauté.

Sur ces jolis mots, nous souhaitons remercier Céline d’avoir prie une journée entière de son temps pour nous montrer et expliquer toute la démarche qu’elle mène avec l’association la Ferme Blue Soil. Nous espérons la revoir très bientôt.

Cliquez ici pour accéder au site de l’association la Ferme Blue Soil

Cliquez ici pour accéder à la chaîne youtube de Céline Basset

Cliquez ici pour accéder au site du Soil Food Web 

2 réflexions au sujet de « Céline Basset – Blue Soil »

  1. Martine.guitton0@laposte.net
    J aimerai être informée de votre voyage de recherche.
    Cordialement

    1. Bonjour,
      Pour toute information complémentaire, n’hésitez pas à directement nous contacter par mail : enselles@protonmail.com

      Merci à vous,
      Victor

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