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Sanisphère

15 Juin 2022

Depuis Orange, il faut pédaler 2h sous un soleil de plomb, mais avec une vue remarquable sur le Ventoux et les dentelles de Montmirail au-dessus des vignobles, pour arriver à Vaison-la-Romaine. Cette fois-ci c’est juste Nathan qui y est accueilli, par Armel Segretain et sa famille. Nous connaissons déjà Armel en partie car il est sorti de la même école d’ingénieur que nous, Polytech Montpellier, quelques années avant. En arrivant, Armel me présente assez rapidement son système fait maison pour récupérer les eaux grises de la journée, les traiter et les réutiliser pour arroser le jardin, environ 120L/jr d’eau économisés (qui plus est, riche en nutriment!). En effet, le bon sens et le low-tech animent autant Armel dans sa vie professionnelle que personnelle, surtout lorsqu’on parle de toilettes ! Parce qu’en effet, dans cet article, nous allons parler de toilettes (ça devient une habitude !).

Vu sur le mont Ventoux et les Dentelles de Montmirail
La ville de Nyons, célèbre pour ses olives

Si Armel est arrivé ici il y a environ 1 an, c’est parce que Pierre Colombo, fondateur et président de Sanisphère, cherchait une énergie nouvelle pour diriger la SCOP. Sanisphère est une entreprise créée en 1991 qui a fortement contribué à donner une nouvelle image aux « toilettes sèches » (qui avaient encore très mauvaise presse à cette époque). La société commercialise des sanitaires publics fonctionnant sans eau ni électricité, principalement à destination des collectivités, mais également pour les aires d’autoroute ou encore pour les refuges de montagne. Sanisphère s’est donné cette mission d’être « au service du soulagement public » et bien que cela puisse faire sourire, la mission est on ne peut plus sérieuse. Avec une technologie basée sur la séparation des urines et matières fécales, Sanisphère a su développer avec sa longue expérience, des toilettes demandant une maintenance très limitée, tout en offrant aux usagés confort (pas d’odeurs,…), modernité et élégance. C’est pourquoi le terme de « toilettes sèches », est que très peu utilisé ici. Car les préjugés qui collent à la peau de cette dénomination (comme la toilette au fond du jardin) ne correspondent pas à l’image de qualité que l’entreprise s’emploie à donner à ses trônes.

Après une bonne nuit de repos, je partage les quelques coups de pédale qui nous séparent de Nyons avec Armel. En effet, c’est dans la ville de l’olive que sont situés les locaux de l’entreprise (bureaux, ateliers et entrepôt). Sur le vélo, Armel me raconte des anecdotes de sa vie à Madagascar. En effet, avant d’arriver à Sanisphère, Armel s’était déjà construit une forte expérience dans le monde de l’assainissement écologique. En 2012, il part à Madagascar suite à son stage de fin d’étude à l’Université de Cranfield lors duquel il intégra la start up Loowatt. Dans ce cadre, il lèvera plus d’1 millon d’euros, en majeur partie grâce au programme pour les toilettes du futur, de la fondation Gates, afin d’installer des toilettes sans eau et sans raccordement à un réseau électrique, dans des bidonvilles de Madagascar. Les matières étaient récupérées, assainies et valorisées (notamment en fumain – fumier humain- ). En parallèle, il s’investit dans de nombreux autres projets (création de la marque de vélo Mbike, ou encore de l’entreprise ASMAD pour l’insertion de jeunes diplômés malgaches), et monte l’entreprise ARAFA (Angovo-Rano-Fandrosoana), un bureau d’étude mettant en place des solutions pour contribuer au développement des secteurs de l’eau, de l’assainissement, des énergies renouvelables et du milieu agricole.

Armel Segretain, l’actuel directeur de Sanisphère
Plusieurs centaines de référence de pièces sont nécessaire pour les différents modèles de toilette

Armel prend le temps de me faire visiter les locaux. Beaucoup de changements sont en train d’être opérés depuis qu’il a repris la direction de la SCOP. De plus, leur activité croissante a permis d’accueillir de nouvelles recrues pour faire grossir les rangs. Dans l’atelier, nous voyons le puzzle de pièces qui permet d’aboutir à la toilette finale. La séparation entre urines et matières fécales est assurée par des tapis roulants mécaniques, activés par une pédale située au pied du siège. Cette technologie fait intervenir un ingénieux système de rouages, ressorts, plaques d’inox associées à un tapis souple en circuit fermé et une assise épurée. Ce système a fait ses preuves chez Sanisphère, en passant haut la main le test de la longévité dans l’espace public. Il n’y a bien que lorsque les toilettes sont incendiées que ces tapis roulants doivent être changés (et encore, une remise à neuf pourrait suffire). Aujourd’hui, face à la demande grandissante de sanitaires, l’entreprise est en train de réaliser un stock de sanitaires, couplé à certains modules adaptables, pour répondre plus rapidement aux demandes des clients.

La séparation des matières fécales et des urines, permet un traitement in-situ simplifié. Les urines sont infiltrées dans le sols et traitées par pédo-épuration. Les matières fécales sont quant à elle envoyées à l’arrière de la cabine, dans un local de compostage clos et ventilé, couplé à une culture de lombrics. Ces lombrics permettent de digérer les matières, et ainsi assurer un compostage aérobie et une réduction très significative du volume du tas. Théoriquement, une chambre de compostage bien dimensionnée permettrait même de réaliser des toilettes éternelles (à ne jamais vider). Pour les matheux, la solution de cette équation réside dans la diminution du volume du tas, d’une année sur l’autre, de 20 %.

Ces toilettes à séparation sont confortables et inodorantes
Derrière la cabine, l’espace de compostage (l’usage massif de papier invisibilise les matières ici)

Je passe le restant de la journée avec Pierre Colombo, en profitant de sa présence pour comprendre sa vision du monde de l’assainissement écologique, à travers sa longue histoire en faveur du développement pour les toilettes du futur. Pierre est ingénieur centralien, il a d’abord travaillé à la caisse des dépôts et consignations avant d’enseigner pendant près de 20 ans à l’université de Paris 8. En parallèle de ses travaux en psychologie sociale, il créé le FEDER, une association regroupant des ingénieurs, pour la plupart objecteurs de conscience, à travailler notamment sur la question de l’assainissement. C’est grâce aux financements de l’agence de l’eau Rhône Méditerranée Corse que pendant presque 10 ans, ingénieurs et techniciens ont travaillé sur des prototypes de toilettes sèches. Il créé en 1992 l’actuel Sanisphère, et passe de nombreuses années à mettre des modèles de sanitaires au point pour venir convaincre une clientèle encore inexistante dans les années 90. Il faut comprendre qu’à cette époque, la littérature scientifique sur le sujet est encore assez faible. En Belgique, le professeur Joseph Orszagh travaille sur des toilettes sèches type TLB (toilettes à litière biomaitrisée), ou autrement dit, les toilettes à sciure, mais la séparation à la source était encore peut réalisée.

Pierre Colombo, président de Sanisphère, continue de se charger de l’entretien de certaines toilettes
Cette cabine a été installée il y a plus de 20 ans et n’a jamais eu besoin d’être vidée !

Petit à petit, Pierre étant resté extrêmement motivé et convaincu de l’intérêt des sanitaires qu’il a développés, les installations se sont succédées et aujourd’hui près de 1000 toilettes Sanisphère sont recensées en France. Pierre m’emmène visiter quelques cabines situées non loin de leurs locaux. L’une d’entre elle a été installée il y a 20 ans, et n’a jamais eu besoin d’être vidée ! Pierre m’explique que le grand défi de ces toilettes est la ventilation : comment assurer une bonne oxygénation du tas de compost, sans provoquer de remontées d’odeur dans la cabine … Son énergie et sa passion pour la recherche le poussent aujourd’hui à tester des systèmes qui pourraient diffuser des huiles essentielles en continu dans les cabines ou encore à imaginer des systèmes de toilettes sans eau sur plusieurs étages.

Aujourd’hui, Sanisphère est en accroissement d’activité, donc si vous êtes intéressé.e, n’hésitez pas à suivre leurs actualités !

Je reprends mon vélo en fin de journée direction Saint-Féréole-Trente-Pas à une dizaine de kilomètres de Nyons. J’y suis invité par Pierre pour une soirée en l’honneur de l’arrivée d’une famille ukrainienne réfugiée.

Merci à l’équipe Sanisphère pour leur accueil et en particulier à Armel et Pierre pour ces bons moments d’échange lors de cette parenthèse Drômoise.

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