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Léopold Rojon – Croix-rouge française

C’est dans un petit café du 7ème arrondissement de la ville de Lyon que nous donnons rendez-vous à Léopold. Il travaille depuis 1 mois à la Croix-rouge sur les questions d’hygiène dans les campements informels sur la métropole lyonnaise. Les allongés commandés, nous nous plongeons directement dans son parcours.

Léopold Rojon s’est orienté assez rapidement dans l’eau en commençant par un BTS métiers de l’eau, puis en réalisant une licence pro spécialisée sur l’alimentation en eau potable et l’assainissement pour enfin suivre la formation WASH portée par l’école Bioforce. Suite à cette formation, il démarre rapidement les missions à l’international.

Il rejoint pour cela Médecins Sans Frontières (MSF) qui l’envoie en première mission en Grèce sur le camps de Samos situé juste en face de la Turquie. Il s’agit d’un RIC (centre d’identification) regroupant au début 4000 personnes. Celles-ci restent en générale 2 ans entre le moment où elles arrivent et le moment où elles obtiennent un rendez-vous. Quand les équipes de MSF arrivent, les familles avaient 1 à 4 bouteilles d’eau par jour. Il y avait 5-6 toilettes pour l’ensemble du camps et donc beaucoup de défécation à l’air libre, pas de systèmes de collecte de déchets et des distributions alimentaires matin, midi et soir. C’est à dire que les gens font la queue pendant 4 heures le matin, 4 heures le midi et 4 heures le soir. C’est une situation de déshumanisation extrême ! Des conditions de vie horribles en Europe.

La première chose que MSF fait en arrivant c’est de poser une grosse poche d’eau de 10 000 litres en eau du camp. C’est sur un terrain privé. Ils n’ont normalement pas le droit. La police vient directement les voir et leur demander ce que c’est. MSF leur répond que c’est démontable et simplement pour donner de l’eau aux gens. Ce à quoi les policiers leur rétorquent de démonter la bâche le lendemain. L’ONG laisse passer le temps, 1 jour, puis deux jours et laisse la poche en place. Dans le même temps, ils vont voir les pompiers et leur indique qu’ils ont mis en place une réserve d’eau au cas où il y a un incendie dans le camp. Les pompiers sont ravies et valides la proposition. Ils fournissent un papier à MSF, ce qui leur permet d’aller voir le maire et de rendre l’installation durable. Ainsi, petit à petit ils l’améliorent, l’agrandissent et la pérennisent.

Léopold travaillait sur l’installation de douches pour ces 4000 personnes. L’idée première était de développer une solution de douches hors sol avec des camions qui amenaient de l’eau, une douche qui se faisait au sceau, des cabines sur palettes avec de l’OSB résistant à l’eau et une évacuation vers une réservoir pouvant se vidanger.  Au moment où les cabines devaient commencé à être construite, l’équipe de MSF apprend qu’Erdogan ne va plus retenir les migrants aux frontières turques et qu’il va ouvrir les portes. En quelques jours, le camp est passé de 4000 à 10 000 personnes avec pas beaucoup plus de financement de la part des institutions. Au final, Léopold a changé de tactique pour les douches car cela revenait à trop cher de fournir ce service aux 10 000 personnes. Un local a été loué. Ils ont fait appel à un plombier et ainsi mis en place des bains douches avec un accueil.

Localisation de l’île de Samos
manifestation des habitants du camps de Samos contre les mauvaises conditions de vie réprimé par les forces de l’ordre

Aujourd’hui le camp est toujours là. Ce qui a changé c’est que depuis 1 an et demie, ce camp est devenu totalement fermé. On ne peut plus y rentrer et en sortir comme l’on veut. C’est devenu une véritable prison. Mais ce n’est pas le seul, il y en a plusieurs en Europe. Pour Léopold, ce fût une expérience très marquante. Il n’a jamais retrouvé de conditions de vie aussi catastrophiques dans le reste de ces missions.

Il fût ensuite envoyé au Congo pendant 6 mois dans l’Ituri C’est une zone de conflit en perpétuel guerre civile à cause de la présence de mines d’or et de l’ingérence de nombreux états extérieurs. Dans cette région, 65 000 personnes ont été déplacées dans 23 camps. Seulement voilà, personne n’en connait l’existence car personne n’en parle. Cette une situation délicate pour les ONG sur place car pas de communication veut également dire pas de financements. Sur place, MSF était le seul acteur dans le domaine de la WASH comme ils disent. Les missions de l’équipe WASH est alors de : gérer les latrines, aménager des sources d’eau, promouvoir et sensibiliser sur l’hygiène, construire des douches mais aussi alimenter en eau l’hôpital et gérer ses déchets. 

La composante WASH est très importante sur un camp comme celui-ci. Léopold nous indique que durant sa formation, un enseignant lui avait fait comprendre que : « en aménagement correctement les toilettes d’un camps, on peut sauver nettement plus de vies que les médecins intervenants sur le camps. »

Au sein de MSF, la composante WASH semble être de plus en plus intégrée. Ils appellent désormais cela de la santé environnementale. L’idée est d’agir sur toutes les composantes environnementales pour améliorer la qualité de vie et la santé humaine en situation de crise.

Sa dernière mission avant de se sédentariser en métropole s’est déroulé au Soudan dans un camps de réfugié Tigréen. Cette fois-ci, le camps rassemblait 25 000 personnes. En revanche, il y avait beaucoup d’ONG et de moyens sur le camps. Les choses étaient différentes.

Construction de latrines dans un camps en République Démocratique du Congo
Hôpital déployé par Médecins Sans Frontières au Soudan

Aujourd’hui, Léopold a été recruté par la Croix Rouge-Française. Lors de ces distributions alimentaires, l’association s’est rendu compte qu’il y avait un besoin en France métropolitaine et en particulier sur la métropole de Lyon d’intervenir sur des problématiques telles que l’accès à l’eau, à des douches et à des toilettes. En effet, au moment du covid, la métropole a engagée une démarche de résorption des campements informels avec un objectif de relogement de 70% à chaque évacuation réalisée.

Depuis ce moment là, la Croix-Rouge a donc créé, avec des partenaires locaux tel que le CCAS (Centre Communal d’Action Sociale) de Villeurbanne qui est très impliqué aujourd’hui, le dispositif d’intervention en groupement informel dédié aux squats et bidonvilles. Sur la métropole de Lyon, on parle d’environ 1 175 personnes réparties sur une cinquantaine de sites avec des typologies très différentes : certains sont reliés à l’assainissement et à l’eau, d’autres sont non raccordés, certains sont bâtis et d’autres non, etc. On va trouver ainsi des camps qualifiés de petits (<25 personnes) où les populations vivent sous les ponts ou dans des caravanes mais aussi des camps plus gros (>25 personnes) où les populations peuvent vivre dans des tentes ou des cabanes à l’intérieur d’un hangar. Le plus gros site de la métropole de Lyon se trouve sur la commune de Saint Genis où il y a 150 personnes environ. Le type de public présent dans ces camps est également très variable : ressortissant européens ; extra-européens (Europe de l’est) ; des gens qui viennent d’Afrique centrale francophone ou anglophone ; des afghans ; des personnes isolées  et des familles. Il y a beaucoup d’enfants et de familles sur la métropole de Lyon.

Tous les mardi, la Croix-Rouge fait une « sortie exploratoire ». Il s’agit d’une tournée des sites. Sur un mois, l’association se déplace sur 6 à 7 sites dont certains où personnes n’est déjà allés. Les bénévoles et salariés se déplacent avec des kits d’hygiène basique (masque gel hydroalcoolique, papier toilette, dentifrice, brosse à dent) et quelques produits alimentaires. C’est l’occasion pour eux de boire un café et de discuter avec les gens. Ils en profitent pour leur poser quelques questions très simples : vous êtes combien ? d’où venez-vous ? ça fait longtemps que vous êtes là ? vous avez vos papiers ? vous êtes en demande ? vous avez une domiciliation ?

Puis petit à petit, une relation se tisse et Léopold a la possibilité de les questionner sur les thématiques de l’eau. Il fait une évaluation orale en posant quelques questions sur l’hygiène, les douches, l’accès à l’eau et les toilettes. Dans son équipe, une personne parle roumain mais elle est plutôt dédiée aux enjeux de santé. Ils peuvent alors faire appel à des interprètes. Cela facilite grandement le dialogue avec les populations.

Pour prendre connaissance des nouveaux sites, il utilise la plateforme « résorption bidonville » mise en place par les services de l’état. Elle permet aux différents acteurs sociaux qui interviennent de répertorier l’ensemble des squats et campements informels. On peut y retrouver de nombreuses informations telles que : l’accès à l’eau, l’accès aux toilettes, la présence d’enfants, le nombre de personnes sur le site, les organismes qui interviennent, etc. Cela permet aux acteurs de se coordonner dans leurs interventions.

Pour le moment, les premières actions de la Croix-Rouge à Lyon en matière d’hygiène sont :

  • la distribution régulière de kit d’hygiène ;
  • l’installation de toilettes raccordées sur un campement proche du Transbordeur.

Sur les toilettes, pour le moment la Croix-Rouge fait principalement de la toilette chimique. C’est une solution qui semble coûter moins chère. Toutefois, elle essaie de proposer les solutions de type toilette Sèche par exemple les modèles de l’entreprise Ecosec (voir article précédent) là où le raccordement n’est pas possible ou quand il s’agit d’un terrain privé. Léopold nous indique qu’ils sont toutefois ouvert à tout autres systèmes pouvant correspondre aux besoins des campements.

Sur les toilettes déjà réalisées, Léopold a pu nous présenter les quelques difficultés rencontrées :

  • la gestion de problèmes d’addictologie sur certains camps qui nécessitent l’intervention d’organismes spécialisés ;
  • sur les gros sites, le manque d’argent ne permet pas de payer des personnes qui viennent nettoyer régulièrement les toilettes comme cela se passe systématiquement en Allemagne ;
  • des problématiques un peu mafieuses avec des toilettes qui se sont retrouvées prises d’assauts, bloquées et fermées par certains groupes organisés.

Mais pour Léopold, la principale problématique qu’il a identifié est celle des douches. Sur Lyon, il y a 1 bain-douche encore en service qui fait 150 douches par jour et seulement environ 3 accueils de jours. En sachant qu’il y a environ 4000 sans abris et 18 000 mal logés sur Lyon, cela semble nettement insuffisant. Sur les 1175 personnes qui sont dans les camps et bidonvilles, il estime qu’il y a environ 480 personnes qui n’ont pas accès à des douches. On parle notamment ici de familles avec des enfants qui sont parfois déscolarisés faute d’accès à des douches. Les causes d’un manque d’accès à des douches sont multiples :

  • pas d’accès à l’eau ;
  • l’accès à l’eau est un robinet d’eau froid donc pas de solution en hiver ;
  • les habitent sur la voirie ;
  • pas de possibilités de se déplacer jusqu’à Gerland, l’unique bain-douche ;
  • pour les femmes : insécurité dans les douches, peurs de la présence d’hommes malintentionnés au niveau des douches.

La Croix-Rouge réfléchit aujourd’hui à différentes solutions. Soit elle investie dans une grosse installation fixe et pérenne à 150 000 €, soit elle privilégie des douches mobiles plus petites et mois chères mais qui permettrait de ne pouvoir proposer qu’une douche par mois aux populations. Sur ce dernier point elle s’inspire de l’initiative Vroom Shower qui met à disposition un camion-douche gratuitement sur la métropole de Lyon. Ce type d’initiative existe sur Lyon, Clermont Ferrand,  et Toulouse (le camion-douche) d’après Léopold et n’est pas encore suffisant.

Intervention du camion douche que La Croix Rouge loue depuis 2 mois à l’association Vroom shower

Ainsi, à court terme, Léopold aimerait bien créer un camion-douche qui tournerait de campement en campement avec des horaires fixes, une personne pour sa maintenance et des bénévoles croix-rouge qui seraient prêts à porter cette activité. Il pense aujourd’hui à un camion très épuré avec deux bacs de douche, un robinet et une évacuation qui irait dans la cuve du camion. Les eaux usées seraient ensuite déposées dans une aire de service de caravaning. L’idée serait de proposer des douches au seau. Cela permettrait de gagner en autonomie et de pouvoir gérer des camps qui peuvent aller jusqu’à 25-30-40 personnes.

Pour simplifier, le dispositif est limité soit par le temps que les personnes passent dans la douche, soit par le nombre de douches qu’il peut proposer. En terme de fluidité, la douche au sceau est quelque de chose de pertinent. Les gens auront bien sûr accès à deux robinets (eau chaud et eau froide) sans limite de volume mais naturellement, l’utilisation du sceau et d’une écope limitera la quantité d’eau consommée. L’idée serait de pouvoir faire rentrer dans le camion une famille de 4/5 personnes afin qu’elle puisse prendre sa douche et un petit-déjeuner tranquillement loin des autres habitant.e.s du campement.

Sur les initiatives déjà menées à Lyon et Toulouse, certaines difficultés sont rencontrées durant le fonctionnement :

  • l’autonomie du camion : pas adapté à des sites avec un nombre de personnes importants ;
  • le voisinage : les habitants ne sont pas très contents. Il leur est déjà arrivé de se prendre des œufs ou des tomates sur la tête.
  • le financement : ces camions tournent généralement grâce à des bénévoles.

Malgré son projet de camion-douche, pour Léopold, le bain-douche reste la solution la plus simple et la plus efficace pour apporter un accès à des douches aux personnes précaires.

Du haut de sa petite expérience et analyse en France métropolitaine, Léopold a le sentiment qu’avec le covid, les actions se sont accélérées. Il y a de plus en plus d’agents dans les institutions qui commencent à se sentir concernés par le sujet de la précarité sanitaire. Durant le covid, l’état est passé en situation « d’urgence sanitaire ». Cela implique d’améliorer l’hygiène partout tout le temps. Des personnes se sont donc posés sur ces questions de précarité. Cela leur a permis de se rendre compte que la situation est préoccupante en France et ainsi d’enclencher de nouveaux projets. De plus, avec le retour d’expériences on sait désormais ce qui marche et ce qui ne marche pas. Léopold pense simplement que l’état n’a pas encore réalisé le prix que cela coûterait d’assurer des bonnes conditions en matière d’eau et d’assainissement.

La Croix-Rouge française travaille actuellement avec le Cent Sept sur la rédaction d’un nouveau document adapté au contexte lyonnais comprenant les différentes typologies de campements que l’on retrouve dans la région.

Léopold espère grandement que son projet de camion-douche va pouvoir se réaliser dans les mois-années à venir ! 

Cliquez ici pour accéder aux actions de la Croix-rouge française en matière de WASH.

Ecrivez à cette adresse si vous souhaitez vous inscrire au dispositif d’intervention en groupement informel à Lyon en tant que bénévole d’un jour : ici.dt69@croix-rouge.fr

Cliquez ici pour accéder à l’initiative lyonnaise Vroom Shower

Cliquez ici pour accéder au site du Cent Sept

Cliquez ici pour accéder au site de Médecins Sans frontières

Cliquez ici pour accéder à la formation WASH de Bioforce

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