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Solagro – Antoine Couturier (2/2)

(Suite de l’article : Thomas Filiatre – Solagro (1/2).

Après Thomas, c’est au tour d’Antoine de passer devant le micro de Victor. Nous avons 1h devant nous avant qu’Antoine enchaîne avec une réunion en visioconférence. Empressons-nous de démarrer l’interview.

Pour commencer, Antoine, peux-tu nous décrire ton parcours et l’association Solagro ?

J’ai fait une école d’ingénieur en agriculture et horticulture à Angers puis je me suis spécialisé en agronomie tropicale pour travailler sur des projets de développement dans les pays du sud. C’est d’ailleurs ce que j’ai fait pendant 3 ans en Nouvelle-Calédonie. En revenant en métropole, j’ai ensuite travaillé pendant 9 ans dans le développement de l’agriculture biologique au sein de la fédération régionale Rhône-Alpes des paysans bio. Depuis 4 ans, je travaille désormais au sein de Solagro au sein de l’activité « territoires ». Dans cette activité, l’association accompagne des collectivités territoriales dans leurs projets de transition : énergie, climat, alimentation, agricole, etc. Cela va des communautés de communes rurales aux départements en passant par les régions et les projets alimentaires de territoires.

Solagro est une association qui existe depuis 40 ans. Elle a été créée en 1981 par des ingénieurs de l’école d’agronomie de Toulouse qui souhaitaient à la base développer l’énergie solaire en agriculture. Ils étaient à l’époque très marqués par le choc pétrolier des années 70 et les questions énergétiques, d’où le nom : Sol-Agro.
Depuis, les effectifs n’ont fait qu’augmenter mais les objectifs restent les mêmes :

d’une part l’agronomie : techniques agroécologiques, prise en compte de la biodiversité dans les systèmes agricoles, etc.

d’autre part l’énergie : le développement des énergies renouvelables via la valorisation de la biomasse (bois-énergie) et la méthanisation (économie circulaire de la gestion des matières organiques), l’agriphotovoltaïsme (un parc avec des élevages ou des cultures).

Aujourd’hui, l’association compte 35 salariés à Toulouse et 5 à Lyon.

Si je comprends bien, tu as une vision plus globale du système alimentaire français. Pourrais-tu me dire à quoi il ressemble aujourd’hui ?

D’un point de vue production agricole, le système alimentaire français est très productif en termes de volume produit, d’intensification des pratiques, de mécanisation, etc. En revanche, il génère un certain nombre d’externalités négatives qui sont bien connues et bien documentées aujourd’hui : impacts sur la qualité de l’eau, impacts sur la biodiversité et impacts sur la santé humaine à commencer par celles des agriculteurs eux-mêmes.
Quand on continue la chaîne, il y a les entreprises de transformation alimentaire qui vont créer des produits ultra-transformés. A ce niveau, on arrive sur des enjeux de nutrition et de santé publique avec une augmentation de l’occurrence de maladies qui sont corrélés en partie à la question alimentaire : diabète de type 2, obésité, cancers liés au système digestif, etc.
Et ensuite, il y a le cadre macro du dérèglement climatique qui vient impacter la résilience du système alimentaire. Un paysan comme mon grand-père dirait qu’aucune année ne se ressemble en agriculture. La différence toutefois c’est que l’occurrence des mauvaise années est beaucoup plus élevée aujourd’hui. Solagro a travaillé via le projet AgriAdapt sur la manière d’adapter l’agriculture européenne aux effets du changement climatique. En premier lieu, il fallait d’abord comprendre les impacts de ce dérèglement sur le modèle agricole. La capacité de notre modèle agricole à produire des denrées alimentaires est aujourd’hui questionnée.

Pour finir, à cela vient s’ajouter des données sociales et économiques tel qu’un accroissement des difficultés à accéder à une alimentation de qualité pour tous avec par exemple une augmentation du nombre de français qui ont recours à l’aide alimentaire ou qui se déclare en situation de précarité alimentaire.  En France, des géographes et des sociologues ont documentés cette question au travers de la notion des « déserts alimentaires ». C’est la distance qui sépare une personne de produits de qualité. Ici, nous sommes dans le centre de Lyon, j’ai des boutiques et des magasins bio à proximité. En revanche, il y a des quartiers de France où l’on ne trouve que des hard-discount et où la distance à parcourir pour trouver des produits frais est grande.

extrait de l’outil CRATER permettant d’estimer la résilience alimentaire d’un territoire (développé par l’association Les Greniers d’Abondance)

Dans ce que tu viens de dire, je retiens une phrase : « la capacité de notre modèle agricole à produire des denrées alimentaires est aujourd’hui questionnée. » Faut-il s’attendre à avoir faim en France dans les années à venir ?

Comme je le disais précédemment, c’est malheureusement déjà le cas de nombreuses personnes aujourd’hui. Il y a ce phénomène de fond de précarisation auquel vient s’ajouter le phénomène conjoncturel de la guerre en Ukraine qui vient générer des inquiétudes sur les marchés financiers des céréales, ce qui induit une inflation de l’ensemble des denrées alimentaires. On peut aussi ajouter la montée en flèche du prix des énergies fossiles qui augmente les coûts de la tonne d’engrais azotés et du prix de l’essence. Cela se répercute directement sur les charges des agriculteurs et donc sur les prix des denrées.

La France est un grand pays exportateur de produits agricoles. Notre balance commerciale agricole est positive. En revanche, quand on regarde un peu plus dans le détail, ce que l’on exporte le plus en termes de valeur économique reste le vin, le champagne voire le fromage. Par contre, il y a des choses qui sortent de la rationalité. Par exemple, on va exporter des veaux à 1 ou 3 semaines en Italie où ils vont être transformés pour ensuite être réimportés en France pour la restauration collective ou pour les entreprises de l’agro-alimentaire qui font de la transformation. Tout cela pour acheter une viande moins chère que le viande française. De fait, on a un élevage français qui fait cet export de très faible valeur ajoutée. Cela va impacter tous les autres éleveurs autour qui font par exemple de la charolaise en plein air qui vont alors se retrouver en concurrence avec la viande d’Italie.

On produit en France des céréales à très faible valeur ajoutée que l’on exporte ensuite dans les pays de l’Europe de l’est pour nourrir leurs cheptels alors que ces pays ont la capacité de produire eux-mêmes leurs céréales. Et de manière générale, on exporte de la viande et on importe de la viande en France. Cela est un non-sens et paraît un peu fou !

J’aimerai évoquer aussi les travaux de l’association Les Greniers d’Abondance qui ont très bien documentés la question de la résilience du système alimentaire. Une grande partie de leur analyse indique que notre système alimentaire actuel dépend principalement d’une énergie fossile bon marché et accessible. Tout simplement car celle-ci est nécessaire dans les fermes pour faire tourner les machines agricoles mais aussi pour la production des engrais (ex : tonnes d’azote multipliée par 3) et puis ensuite pour tous les flux de la chaînes alimentaires (exemple frappant du yaourt qui fait entre 8000 et 15 000 kilomètres). C’est une réalité. Aujourd’hui, avec un pétrole bon marché, on se permet d’acheter des produits cultivés dans le nord de la France que l’on va transformer dans le sud-ouest, emballer dans une autre région et qu’ensuite on distribue dans tous les coins de France. Les Greniers d’Abondance estiment qu’il y a en France plus de 30 000 poids-lourd qui roulent chaque nuit pour alimenter nos supermarchés. Le système agricole consomme également beaucoup d’énergie dans les étapes de transformation. On pense à la chaleur pour cuire ou chauffer certains aliments mais aussi et surtout à toute la chaîne du froid qui doit être maintenue pour conserver et gérer les stocks (hangars réfrigérés, camions réfrigérés, rayons réfrigérés).

Toute la dépendance que tu décris là semble être en contradiction totale avec les objectifs fixées par la COP 21 de réduire nos consommations en énergies d’origine fossile. Cela semble impossible dans le système alimentaire actuel.

Effectivement, pour atteindre la neutralité carbone et imaginer un monde viable pour nos enfants à la fin du siècle, il faut sortir des énergies fossiles avec le risque que cela impact notre système alimentaire. Le défi est alors double ! Pour sortir des énergies fossiles dans le monde agricole actuel, on a pour le moment peu de solutions. Il y a quelques expérimentations de tracteurs électriques mais on reste sur des puissances très faibles et pour des petites échelles de maraîchage. On a aussi quelques marques de tracteurs qui commencent à commercialiser des tracteurs qui fonctionnent au biogaz. Aujourd’hui en France, on a seulement quelques unités de méthanisation qui ont leur propre station de distribution de biogaz pour leur tracteur, les véhicules de La Poste ou encore les bus scolaires.

Sur tous ces constats-là, à Solagro, on a ressenti le besoin de dessiner de nouvelles trajectoires possibles. On a donc imaginé un scénario qui puisse répondre à cette équation de la soutenabilité du système alimentaire.

D’accord. Je comprends mieux ce besoin de réaliser un scénario prospectif. Peux-tu nous présenter votre réflexion globale et nous expliquer la manière avec laquelle vous l’avez construit ?

Le scénario Afterres 2050 est robuste. On y a mis toute l’expertise de Solagro. Il est basé sur des flux physiques et est itératifs. C’est à dire que si un jour on discute avec des chercheurs nutritionnistes, agronomes ou autre et qu’ils nous disent que l’hypothèse que l’on a prise à tel ou tel endroit est fausse ou exagérée, on modifie notre scénario et on l’ajuste.

Son objectif est d’arriver à nourrir une France plus nombreuse en 2050 (72 millions d’habitants selon l’INSEE) avec un dérèglement climatique qui vient baisser les rendements agricoles tout en essayant de sortir des énergies fossiles, de produire des énergies renouvelables et tout cela en produisant une alimentation de meilleure qualité. On propose donc une trajectoire envisageable et on montre que effectivement, c’est possible de mettre en place un nouveau modèle agricole d’ici à 2050.

On ne prétend pas avoir raison mais par contre, on veut nourrir le débat en présentant ce scénario au plus grand nombre. Il a été présenté une première fois à l’échelon national en 2010. Ensuite, nos équipes l’ont décliné à l’échelle régionale afin de tester ses limites et d’en améliorer la robustesse. On a également invité plusieurs scientifiques aux spécialités différentes afin qu’ils puissent nous apporter leur expertise et leur regard sur notre production. Pour sa régionalisation, nous avons travaillé avec les partenaires locaux : chambres d’agriculture, les DRAAF, l’ADEME, etc. L’approche était de considérer chaque région comme indépendante.

Pour construire ce modèle, nous nous sommes basés sur plusieurs hypothèses.

Source : INRAE – 2019

La première réflexion a été de partir des besoins. En gros, de quoi avons-nous besoin pour nourrir une population française en bonne santé en 2050 ? On a alors le delta entre la consommation actuelle des français et les recommandations de nutrition-santé à l’échelle internationale (OMS) et nationale (Plan National Nutrition-Santé). Aujourd’hui, l’alimentation d’un français moyen est largement au-delà des recommandations nutritionnelles. De plus, en France, on observe une augmentation du nombre de personnes en surpoids. Ainsi, on a fait le choix, en 2050, de ramener l’indice de masse corporel des français au niveau des années 2000. A l’époque, on était déjà en léger excès mais cela restait encore raisonnable en matière de quantité. Cette première orientation induit de réduire les surconsommations de sels, de gras, de sucres mais aussi de protéines. L’OMS recommande 52g de protéines/personne/ jour. En France, on est plus autour de 80-90g/personne/jour. Donc on mange trop de protéines mais surtout trop de protéines d’origine animale (viande, lait, fromage, etc.) par rapport aux protéines végétales (légumineuses). Dans le scénario, l’idée est donc de rééquilibrer ce ratio en augmentant la quantité de protéines végétales et en diminuant la quantité de protéines animales. Cela ne veut pas dire que l’on ne mange plus de viande ou de fromages mais que l’on en mange moins. Tout cela, pour des questions de santé publique.

En lien avec cette question, on retrouve le sujet du gaspillage alimentaire. La FAO estime à environ 30 % l’alimentation jetée dans le monde. Selon une étude récente de l’ADEME, en France, le gaspillage se fait pour 1/3 au niveau de la production, 1/3 au niveau de la transformation et de la distribution, puis 1/3 relève de notre responsabilité de consommateurs (ce qu’on achète en trop, les restes que l’on jette et les choses dont on se débarrasse car la date de préemption est dépassée). Pour résumé, on est tous responsable du gaspillage alimentaire, producteurs, industries, distributeurs et consommateurs. Dans le scénario, on a donc fait des hypothèses fortes de réduction de ce gaspillage.

On définit ainsi les besoins alimentaires à travers des kilocalories/personne qui nous permettent de reconstituer l’assiette d’un français moyen en 2050. On arrive ensuite à estimer le grammage de production nécessaire : tonnes de viande, tonnes de lait, tonnes de légumes à produire, tonnes de blé, etc.
On regarde ensuite les hectares dont on dispose. Il s’agit alors de la Surface Agricole Utile (SAU) française. Puis département par département, on estime des rendements moyens pour chaque culture et des hectares nécessaires pour produire ces besoins. Les rendements moyens que l’on utilise vont tenir compte des impacts du dérèglement climatique via l’outil Climator développé par l’INRA. En effet, nous ne prenons pas les rendements moyens actuels mais ceux de 2030 et 2050 en fonction des évolutions climatiques.


Dans la définition de ces rendements moyens, il y a bien sur la question des modes de production et des pratiques agricoles. Le scénario, là-dessus, fait des choix forts par rapport à la situation actuelle (9 % seulement de la SAU qui est cultivée en agriculture biologique). On considère dans Afterres 2050 qu’il faut accompagner 45 % de l’agriculture française à passer en agriculture biologique, et 45 % vers une agriculture intégrée. C’est à dire une agriculture dans laquelle on peut encore utiliser des engrais azotés de synthèse et en dernier recours des pesticides mais par contre où l’on va mobiliser un maximum de leviers agronomiques qui sont : les rotations diversifiées, des rotations allongés, des cultures associés, des couverts permanents, de l’agroforesterie, de la lutte biologique intégrée, des pâturages tournant dynamique, un travail du sol qui est réduit (pas forcément du sans labour mais un minimum). Cette agriculture reste une agriculture intensive mais elle va chercher à maximiser l’ensemble des leviers qu’elle possède pour réduire son impact.
Il resterait ensuite 10 % d’agriculture conventionnelle telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui. Tout ça est très schématique bien évidemment mais cela donne une direction à suivre et des ordres de grandeur.

Illustration du bassin parisien dans le cas où le scénario Afterres 2050 est appliqué (réalisé par le collectif paysage de l’après-pétrole)

Dans cette projection, que faites-vous de l’élevage ? A quoi ressemble l’utilisation de la matière organique en 2050 ?

Dans notre scénario, on réduit le nombre d’élevage mais on en maintient quand même notamment là où c’est pertinent d’en maintenir comme dans les zones de montagne ou les alpages. Ces zones de coteaux et de pentes sont des endroits où l’on sait qu’on ne pourra pas faire grand-chose d’autre en matière agricole. De plus, les prairies ont aussi un intérêt en matière de séquestration carbone et de maintien de la biodiversité puisqu’elles ont une flore et une faune spécifique. On propose donc de réduire le cheptel français parce que c’est cohérent avec les besoins alimentaires et parce que c’est cohérent avec les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (45 % des gaz à effet de serre émis par l’agriculture française provient de la fermentation entérique des ruminants et de la gestion des effluents d’élevage). Mais par contre, on propose de déconcentrer l’élevage car la politique que l’on a mené ces dernières années a amenée à concentrer 2/3 de la production de porc et de volailles en Bretagne ce qui a conduit au phénomène des algues vertes. C’est une réalité. Mieux répartir l’élevage sur le territoire et préserver l’élevage qui nous intéresse, c’est à dire le plus extensif possible, l’élevage à l’herbe, c’est ce que l’on défend. On va manger moins de viande mais de la viande de meilleure qualité.

Avec une meilleure répartition de l’élevage sur le territoire, on va renforcer ce lien ancestrale de la pratique de la polyculture-élevage. Cela permet de mieux valoriser la matière organique en circuit-court. Dans notre scénario, on a aussi un développement fort de la méthanisation agricole et territoriale. C’est pour nous, une bonne manière de permettre le développement des intercultures et ainsi produire du gaz renouvelable pour contribuer à la transition énergétique française. Cette méthanisation permettrait également de produire du digestat qui est un très bon amendement pour les cultures.
Il faudra également un redéveloppement fort des cultures de légumineuses d’une part car elles permettent de capter l’azote de l’air et le mettent dans le sol mais aussi car elle contribue à rééquilibrer notre consommation de protéines. Leur culture nous permettrait de nous émanciper en partie des engrais azotés de synthèse produit à partir d’énergie fossile.

Tu as anticipé ma question. Je me demandais justement quelle source d’engrais vous comptiez utiliser dans le scénario Afterres. Au-delà de l’azote, avez-vous aussi pensé au Phosphore ?

Sur l’azote, les principales sources prévues dans le scénario sont :

1)les légumineuses ;

2)le digestat issue de la méthanisation ;

3)les effluents d’élevage ;

4)et un tout petit peu d’engrais azotés de synthèse que l’on va chercher à limiter au maximum.

Ce bilan est cohérent. L’azote disponible serait suffisant pour maintenir une production végétale élevée.

Plusieurs exemples de légumineuses ( Source : Terre-net)

Sur le phosphore, le sujet est plus délicat. C’est une ressource fossile que l’on va extraire des mines. Il fait partie des ressources qualifiées de critique par la Commission Européenne. Il est assez peu mobile dans le sol en comparaison à l’azote. Les grandes quantités de phosphore que l’on a pu apporter dans les années 60-70 sont encore présentes dans les sols. Néanmoins, par endroit, on continue à avoir besoin d’apporter du phosphore d’où la nécessité de développer des moyens de recycler le phosphore qui existe et notamment dans l’urine humaine.

Mis à part les engrais, comment projetez-vous le recyclage de la matière organique au sens large dans ce scénario ?

On mise en grande partie sur la méthanisation. Solagro estime, au travers de ce scénario, qu’il faudrait multiplier son développement par 10 mais pas de n’importe quelle manière. Nous souhaitons construire des unités de méthanisation à taille humaine qui soit prises en main par des collectifs d’agriculteurs en concertation avec l’ensemble des acteurs du territoire dans lesquels elles s’implantent. On conçoit la méthanisation comme un outil au service du développement à la fois de la transition énergétique et des pratiques d’agroécologie. Tous les modèles de méthanisation ne se valent pas. Le lien avec les collectivités locales pourrait ici se faire via les déchets verts et les boues de station d’épuration.

De notre point de vue, le compostage est un outil complémentaire à ce qu’on développe. Via le compost on valorise de la biomasse pour en faire une source de matière organique intéressante pour l’agriculture. Via la méthanisation, on produit du gaz renouvelable et un amendement tout aussi pertinent. On préfère donc faire de la méthanisation que du compostage. Notamment car le compost produit également des gaz à effet de serre. Si on développait le compost à grande échelle, cela pourrait avoir un impact sur le climat. Avec Afterres2050, la part de l’énergie produite par le secteur agricole (165 GWh/an) représenterait 18% de la consommation énergétique française en 2050 (900 GWh/an selon le scénario négaWatt).

Tout comme pour le recyclage de l’urine, la réutilisation des eaux traitées n’a pas été intégrée au scénario Afterres 2050. En revanche, au sein de Solagro, on a accompagné des collectivités locales qui se posent de nombreuses questions sur ce sujet. C’est donc une thématique que l’on est amené à développer.

Et sur la gestion de l’eau ? Avez-vous anticipé la réduction des ressources en eau à horizon 2050 et la nécessité de diminuer la consommation d’eau du monde agricole ?

En effet, la gestion de l’eau décrite dans le scénario porte davantage sur une modification des pratiques agricoles permettant de diviser par 4 la consommation d’eau en période estivale. Nous ne défendons pas une interdiction de l’irrigation car elle est, à notre sens, indispensable dans l’agriculture. En revanche, nous souhaitons réduire son recours dans les périodes où la tension sur la ressource en eau est la plus critique. Cela passe par une évolution des choix des variétés, des cultures, plus de matière organique dans les sols, etc. Dans Afterres2050, le volume d’eau prélevé à l’année par l’agriculture française est comparable à la situation de 2010. Le recours à l’irrigation estivale est divisé par 4.

Au final, quelles ont été les retombées de l’établissement d’un tel scénario ?

Le scénario que l’on a construit ne définit pas les politiques publiques à appliquer telles que la création de nouvelles filières de valorisation mais bien évidemment, si c’est la trajectoire que l’on veut suivre, il va falloir trouver de nouveaux débouchés et que les acteurs de toute la filière prennent ces sujets en main, notamment les coopératives agricoles.

Il y a eu une évaluation économique du scénario Afterres 2050. Au regard des enjeux dont on parle (l’alimentation), il y a de bonnes raisons pour que la puissance publique soutienne et subventionne les acteurs de ces filières. En revanche, on est très critique envers la politique agricole commune (PAC) qui n’évolue pas. Elle continue à soutenir une agriculture intensive qui n’arrive pas à faire le virage attendu par les consommateurs. C’est le cas de la nouvelle PAC définie pour 2023-2027. C’est également le cas de sa déclinaison à l’échelle nationale (Plan Stratégique National) portée par le ministre de l’agriculture Julien Denormandie. A titre d’exemple, ils ont décidé de soutenir au même niveau les agriculteurs qui sont en agriculture biologique et les agriculteurs qui sont labellisés en HVE (Haute Valeur Environnementale) alors que les niveaux d’exigence ne sont en rien comparable. En faisant ça, on décourage les personnes qui s’engagent dans les pratiques les plus vertueuses telles que l’agriculture biologique ou l’agroécologie poussée et ambitieuse. On peut en soit être qualifié en HVE sans avoir jamais modifié ses pratiques ou son itinéraire technique.

Si on mange moins, on se libère du budget pour consommer mieux et soutenir les agriculteurs qui développent des pratiques plus vertueuses. Manger local n’a pas d’intérêt si l’on mange une pomme qui reçoit en moyenne 35 pesticides différents. Manger local c’est intéressant à partir du moment où l’on soutient ses hommes et ses femmes qui s’engagent dans des pratiques vertueuses.

Carte de l’usage des pesticides agricoles en France réalisée par Solagro

Ce scénario est le fruit d’expérience concrètes menées sur le terrain et  de travaux scientifiques réalisés sur tous ces sujets. Enfin, il est important de le rappeler, il n’y a aucun pari technologique. Tout ce que l’on mobilise dans Afterres 2050 c’est la généralisation des meilleures pratiques qui existent déjà aujourd’hui et que l’on maîtrise. On dispose de tous les outils nécessaires pour changer de trajectoire. S’il y a des recherches et des nouvelles inventions qui apparaissent, elles nous permettront seulement d’atteindre plus facilement nos résultats.

Le scénario Afterres nous sert avant tout de récit. Avant de se lancer dans des pratiques plus vertueuses, l’agriculteur a besoin de savoir que ça existe, que c’est possible et que cela a du sens. On vient alors, avec le scénario donner de la légitimité à son action.

Merci Antoine d’avoir répondu à mes questions. Cela fait en effet rêver. Qu’attendons-nous pour changer les choses ? Créons des filières vertueuses partout en France, dans tous les territoires !

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