Publié le Laisser un commentaire

Jacques Lesavre

13 Mai 2022

Le contact avec Jacques se fait très tardivement dans notre escale parisienne. Nous avons déjà calé un grand nombre de rendez-vous dans notre agenda quand il nous appelle. Par chance, vendredi après-midi, nous avons un créneau qui se libère. Il peut nous accorder une partie de son après-midi si toutefois nous le rejoignons chez lui.

Comme la majorité des personnes que nous rencontrons dans la capitale, Jacques habite en banlieue. Victor monte dans le train à Saint-Lazare en direction de Sannois. Jacques vient le chercher à la gare et l’emmène au centre-ville. Nous envisageons dans un premier temps de réaliser l’interview dans un parc mais l’absence de table nous fait opter pour un café-restaurant. Le bruit du service à l’intérieur de l’établissement nous conduit à nous installer en terrasse.

Jacques est quelqu’un de très abordable. Nous avons tout de suite été très à l’aise d’échanger avec lui. Il est aujourd’hui à la retraite mais croule sous les charges de tout jeunes grands-parents tels que la garde des petits-enfants ou s’occuper des aînés. En effet, le soir même il reçoit toute la famille chez lui pour fêter les 99 ans de sa belle-mère. Un événement important !

Durant 39 ans, Jacques a travaillé à l’Agence de l’Eau Seine Normandie (AESN). Les agences de l’eau sont au nombre de 6 en France métropolitaine. Les territoires d’intervention de chacune d’elles sont déterminés par les grands bassins hydrographiques des fleuves : le Rhône, la Seine, la Loire, l’Adour et la Garonne, le Rhin et la Meuse, l’Artois et la Picardie. Ces établissements publics ont été créés en 1964. Ils fonctionnent comme des mutuelles. Les agences de l’eau perçoivent auprès des usagers de l’eau (consommateurs, industriels, agriculteurs, etc.) des redevances basées principalement sur la pollution rejetée et le prélèvement d’eau. En retour, l’argent ainsi collecté est redistribué aux différents acteurs de l’eau sous la forme de subventions ou de prêts à taux zéro. Par exemple, les familles contribuent au travers de la facture d’eau au budget des agences de l’eau mais une grande partie des équipements dont elles bénéficient (eau potable, évacuation et traitement des eaux usées, etc.) sont aidés financièrement. Ces aides suivent un programme décidé par les comités de bassin composés eux-mêmes de tous les acteurs de l’eau : état, collectivités, entreprise, monde agricole, associations, etc.

Interview de Jacques Lesavre à Siannois
Une vue impressionnante sur Paris

Ce qui est surprenant, c’est que Jacques a connu Jean-Pierre Tabuchi et Fabien Esculier (voir articles précédents) lorsqu’ils étaient encore étudiants. Il a notamment été en relation avec eux lorsqu’ils ont effectué leur stage respectif à l’Agence de l’Eau Seine Normandie (AESN). En démarrant sa carrière en 1977 à l’AESN, Jacques a pu observer toutes les évolutions du monde de l’assainissement des collectivités dans les dernières décennies. En effet, au début de sa carrière, l’assainissement des eaux usées domestiques devait être amélioré car les effluents rejetés étaient non conformes, les réseaux d’égoûts fuyards, le traitement des eaux incomplet, les ouvrages souvent non fiables et l’assainissement individuel était réduit à la présence d’une fosse septique. Il a donc pu voir le développement et l’amélioration de toutes ces infrastructures partout en France. Il a également participé à l’évolution des techniques et des systèmes de traitement. Pendant 17 ans, il a travaillé au sein du laboratoire de recherche de l’AESN situé sur le site d’une des stations d’épuration de l’agglomération parisienne à Colombes.

Suite à la modernisation-extension de cette station d’épuration, Jacques a rejoint le siège de l’agence de l’eau à Nanterre. Il était alors chargé de conseiller les collectivités locales et de leur accorder des subventions pour leurs projets d’assainissement.

Jacques a pu nous parler de changement qu’ont pu apporter les différentes directives européennes sur l’eau, et en particulier celle de 1991 relative au traitement des eaux résiduaires urbaines. Et oui, car pour la collecte et l’épuration des eaux usées, c’est la commission européenne qui fixe les principales règles. C’est notamment elle qui détermine les niveaux minima de traitements, les délais pour les atteindre et les objectifs de qualités des eaux. Jacques a donc pu nous raconter une période importante de sa carrière professionnelle où la France a été condamnée par la cour de justice européenne pour non-respect des exigences de la directive de 1991 car à l’époque, beaucoup de stations d’épuration restaient sous-dimensionnées, obsolètes ou ne disposaient pas d’un traitement suffisant. Pour éviter l’amende forfaitaire et les astreintes financières qui étaient évaluées à plusieurs centaines de millions d’euros, il a fallu mobiliser toutes les énergies. Jacques a ainsi participé à de nombreuses réunions au ministère de l’environnement, avec la police de l’eau et ses collègues des directions territoriales des agences de l’eau pour gérer la situation. Il fallait en effet motiver les collectivités ayant des ouvrages d’épuration non conformes à réaliser les travaux et investissements nécessaires dans un délai restreint car tel était l’engagement pris avec la commission européenne pour échapper aux sanctions financières. A cette période, il se rappelle avoir accompagné un commissaire européen à la station d’Achères, ouvrage qui épure une partie des effluents de l’agglomération parisienne. C’est par sa taille, l’une des stations d’épuration les plus importantes au monde et malgré l’importance des travaux de réhabilitation qui se déroulaient sous ses yeux, le commissaire a répété inlassablement tout au long de la journée de visite : « vous avez 15 ans de retard en France ».

Ce sont toutes ces anecdotes et toutes ces histoires qui nous font prendre conscience des efforts et du chemin qui a été parcouru durant les dernières décennies : le développement technologique, les investissements financiers, des milieux aquatiques moins impactés, etc.

Selon lui, le traitement des eaux usées domestiques est en grande partie maîtrisé mais il faut assurer un fonctionnement optimal et un renouvellement régulier du patrimoine existant. Les traitements qui ont pu être mis en place sur la pollution ponctuelle ces quarante dernières années ont permis de grandement améliorer la qualité des cours d’eau. Cette dynamique doit encore se poursuivre aujourd’hui avec notamment la prise en compte des eaux pluviales et la pollution diffuse. A titre d’exemple, il est indéniable que les nitrates et les pesticides retrouvés dans le milieu naturel proviennent de l’agriculture.

Nous avons également beaucoup échangé avec Jacques sur les possibilités de voir des nouvelles solutions d’assainissement émerger. Il est très prudent sur ce sujet sachant par expérience qu’il faut souvent plusieurs décades pour mettre au point un procédé. Les eaux usées urbaines contiennent de la matière organique, des nutriments, des calories…. et il est tentant de vouloir les récupérer, les valoriser (électricité, engrais, chauffage urbain, irrigation avec des eaux de seconde main…). Mais les eaux usées contiennent également des micro-organismes pathogènes, des résidus médicamenteux, des micro-plastiques, des nano particules… Il faut sans doute minimiser les rejets, éviter la dilution de la pollution, valoriser ce qui peut l’être mais il faut bien peser les avantages et les inconvénients de chaque solution. Enfin il ne faut pas oublier de comparer à l’échelle d’un bassin hydrographique l’importance comparée des principales forces polluantes qui s’exercent sur les milieux. Pour un paramètre donné, quel est le poids respectif des pollutions provenant du pluvial, de l’assainissement collectif et individuel des populations, de l’industrie et de l’agriculture ? Un tel exercice est souvent riche d’enseignement tant sur les résultats obtenus que sur le manque de connaissance constaté . Il est important de communiquer et de valoriser ces résultats pour que le maximum de personnes s’emparent du sujet

Sur la question des toilettes sèches, il lui apparaît difficile actuellement de prévoir une large diffusion de cette technique en France. En effet la population est de plus en plus urbanisée, le patrimoine contribuant à la prise en compte des eaux usées domestiques est considérable et difficile à remettre en cause. De plus, bon nombre d’usagers le vivraient comme un « retour à la bougie ». C’est en tout cas ce qu’il explique en se souvenant comme dit la chanson, de la cabane au fond du jardin avant que l’habitation de ses grands-parents ne soit desservie par un réseau d’eau potable. De son point de vue, pour qu’un nouveau système se développe il faut qu’il puisse apporter plus de confort, soit utilisable sans contrainte et sans nuisance pour l’usager et que les coûts d’investissement et de fonctionnement restent raisonnables.

C’était très intéressant pour nous d’avoir un point de vue de ces cinquante dernières années où une grande partie de l’assainissement des collectivités restait à inventer. Le monde de l’eau était suffisamment petit pour tisser des liens avec les différents acteurs qui œuvraient dans ce domaine. Le faible poids des contraintes administratives laissait une grande initiative dans le travail de chacun. Merci à lui d’avoir accepté de témoigner. Nous espérons garder contact à l’avenir !

Cliquez ici pour accéder au site de l’Agence de l’Eau Seine Normandie

Laisser un commentaire