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La fumainerie

17 Mars 2022

Nous arrivons à La Rêverie vers 12h30, le temps de se prendre un truc à manger à la boulangerie au bout de la rue. On ne comprend pas très bien où l’on débarque au début. Il y a une cour d’école et des enfants partout qui font des ateliers divers et variés. À priori, c’est normal, l’association la fumainerie est basée dans un lieu à vocation mixte. Les bâtiments sont ceux d’un DITEP (Institut thérapeutique, éducatif et pédagogique) qui accueille (classe + hébergement) des enfants ou des adolescents présentant des difficultés psychologiques. L’institut partage ses locaux avec de nombreuses structures différentes. Tous les mardis, des temps sont organisés par les structures avec les enfants pour présenter leur activité et créer du lien. Cela permet également d’ancrer les enfants dans la réalité et de découvrir des domaines qu’ils ne soupçonnent pas.

Wassim en pleine collecte
Discussion devant le composteur Upcycle

L’association la fumainerie est unique en son genre. Elle s’est créée pour permettre l’élaboration d’un service publique de collecte et de gestion des matières issues de toilettes sèches. C’est la première fois qu’un tel service est développé en milieu urbain. A la base du projet, Ambre, une militante chevronnée qui voulait installer des toilettes sèches dans son appartement Bordelais. Pour cela, elle a rencontré Mathieu de l’entreprise Un petit coin de paradis qui loue des toilettes sèches en événementiel (cf article précédent). En rigolant, Mathieu lui avait rétorqué qu’il pourrait s’organiser de la manière suivante : quand le bac de matières de Ambre est plein, elle le met dans le tram et Mathieu le récupère au terminus ! La vraie réponse de Mathieu, était en réalité la suivante : débrouille toi pour créer un réseau de citoyen.ne.s motivé.e.s et revient me voir. C’est ce qu’Ambre a fait. Elle est allée voir de nombreux partenaires locaux et a développé La fumainerie. Son objectif principal : fédérer les acteurs de l’assainissement écologique en Gironde.

L’association porte aujourd’hui une expérimentation jamais vu en France à ce jour : installer des toilettes sèches dans des foyers volontaires et mettre en place un système de collecte des matières en vélo cargo. Gros défi ! Soutenue par la région Nouvelle-Aquitaine, le département de la Gironde et la métropole de Bordeaux, l’expérimentation a démarrée en juillet 2020 pour une durée de 2 ans. Elle touche donc bientôt à sa fin. 35 foyers volontaires répartis dans différents quartiers de la ville de Bordeaux font partis de l’expérimentation. Cela représente environ 100 habitant.e.s.

Spécifiquement pour cette expérimentation, l’entreprise Un petit coin de paradis (voir article précédent) a conçu avec la fumainerie des boxes de toilettes sèches pouvant être installés dans à peu près n’importe quel appartement. Il s’agit de toilettes à séparation à la source. On s’assoit obligatoirement pour faire ses besoins. Un réceptacle à l’avant collecte les urines et les envoie dans un petit bidon situé sous l’assise dans lequel est ajouté 1 % d’acide lactique pour stabiliser l’urine. Les matières fécales vont à l’arrière et atterrissent dans un bac en plastique dans lequel on ajoute un peu de sciure à chaque passage. Un dossier en bois est ajouté à l’arrière de l’assise. Il permet de stocker la sciure sans prendre trop de place.

Pour les usagers, rien de plus simple, l’association est venue chez eux pour installer les toilettes en remplacement ou en ajout de leurs toilettes à eau. Les usagers disposent d’un compte sur une application spécialement conçue pour l’expérimentation. Sur celle-ci, les créneaux de collecte sont visibles et les particuliers peuvent s’y inscrire en fonction du niveau de remplissage de leurs bacs et bidons. Aujourd’hui, les habitants possèdent plusieurs bidons et bacs chez eux au cas où ils auraient oublié de s’inscrire. Chaque jour de collecte correspond à un ou plusieurs quartiers situés à proximité afin d’optimiser les parcours.

Toilette BIBOK installées chez les particuliers
Interview de Wassim

Du côté de la fumainerie, le salarié en charge de la collecte prend le vélo-cargo entreposé dans le local le plus proche du lieu de collecte et entame ensuite sa tournée, comme le facteur. 5 minutes avant son arrivée, il envoie un SMS à l’usager pour l’avertir de sa venue. Nous avons eu l’occasion de suivre Wassim, l’animateur du réseau, lors d’une collecte et de le voir manier avec brio le vélo-cargo. Il doit peser pas loin des 150 kg en fin de collecte. Les matières sont ensuite transportées au local le plus proche. Les urines sont stockées dans des grandes cuves avant valorisation. Pour les matières fécales et la sciure, l’association s’est dotée, depuis peu, d’un composteur électromécanique développé par la marque française Upcycle. Les matières sont donc envoyées dans ce composteur. Ce dernier en sort du magnifique compost au bout d’à peine 15 jours. Le compost est ensuite redistribué aux usagers et la boucle est bouclée !

Le lancement de l’expérimentation a été suivi par l’équipe de recherche OCAPI et fait l’objet d’études sur l’expérience utilisateur par d’autres chercheurs de l’école de commerce Kedge Business School. Les points étudiés sont le modèle économique pouvant être imaginé derrière un tel système de collecte ainsi que des enquêtes sociologiques. Nous présenterons les résultats de toute cette expérimentation dans notre podcast, on ne vous en dit pas plus pour le moment.

L’expérimentation s’arrête en septembre 2022. Après discussion avec plusieurs usagers, ces derniers souhaiteraient continuer. Ils en sont très contents. Le problème étant que sans subvention, le service publique de collecte testé tel qu’il est aujourd’hui serait trop cher. L’association est donc en pleine réflexion sur la suite de son existence.

En parallèle de l’expérimentation, la fumainerie a développé d’autres activités. Elle a accompagné 2 crèches de Bordeaux dans l’installation de toilettes sèches pour les tout petits. Malheureusement, nous n’avons pas eu l’opportunité de les visiter. De plus, elle accompagne Bordeaux Métropole dans des projets de précarités sanitaires, notamment sur un camp de roms bulgares dont nous avons parlé dans un article précédent. À l’échelle du territoire, elle tisse des liens avec de nombreux acteurs en particulier pour la création de la MAison de la Matière Organique (MAMMO) dont font parties les structures suivantes : Récup’ Bokashi Aquitaine, Un petit coin de paradis, la fumainerie et Mundao. Il s’agit de créer une coopérative d’intérêt collective visant la mise en commun des outils de production pour un retour au sol efficace des nutriments issus de la collecte des matières organiques oubliées de la métropole (couches, litières végétales, bokashi).

Comme vous avez pu le voir dans les différents articles, en Gironde, il existe aujourd’hui tout un écosystème d’acteurs pouvant répondre à chacune des étapes d’un modèle d’assainissement plus écologique : la sensibilisation et la construction d’un réseau territorial (la fumainerie), la construction et l’installation (Un petit coin de paradis), la collecte (la fumainerie et Un petit coin de paradis) et la valorisation (Toopi Organics). C’est très inspirant !

Merci à la fumainerie de nous avoir accordé tout ce temps et en particulier à Wassim pour la collecte.

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