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Philippe Morier-Genoud

22 Mai 2022

Nous repartons le lendemain en direction de Thune. C’est la première fois du voyage où nous souffrons vraiment de la chaleur. Nous sommes légèrement en altitude. Pourtant, le soleil tape fort et il n’y a pas d’air. Nous pédalons torse nu en espérant ne pas attraper de trop gros coups de soleil. Thune est une jolie ville. Le centre présente les reste d’une ancienne cité médiévale avec ses remparts. Au bord, un immense lac dont l’exutoire créé une rivière qui traverse la ville du sud au nord. Nous en profitons pour faire un plouf avant de repartir en direction du pays d’en haut. En effet, demain, la journée s’annonce longue. Nous faisons donc le choix de nous avancer encore un peu dans la vallée. Après avoir remplit nos gourdes dans un cimetière débordant de fleurs toutes plus belles les unes que les autres, nous tombons sur un panneau « feu de camp ». Un dessin explicite pour nous indiquer la présence d’un endroit où camper. Finalement, le choix se portera sur une ancienne carrière convertie en site d’escalade. Nous dormirons ici, à l’abri des regards.

Le pont couvert de Thune
Les pentes raides de Suisse offrent de beaux panorama sur les montagnes

Au réveil, le vent se lève. C’est plus agréable pour faire du vélo mais malheureusement la brise sera de face. Pour cette dernière journée avant d’arriver chez Philippe, le nombre de kilomètres est faible mais la pente et le dénivelé total est grand. Nous mettons finalement beaucoup de temps à rejoindre son village, Rossinière.

Mais comment sommes-nous arrivés là ? Lors des intestinales (cf article précédent), nous avions fait la rencontre d’aneco (voir article suivant), une association implantée à Genève. En organisant notre arrivée sur Genève, les membres de l’association nous ont indiqué que nous devions absolument rencontrer Philippe. D’autant plus que nous avions vu Philippe dans le reportage diffusé sur France 5 deux semaines auparavant. La mise en contact s’est faite rapidement. Nous sommes très heureux qu’il ai pu répondre favorablement à notre demande.

Nous arrivons donc chez Philippe après 3 jours de vélo à travers la Suisse. Il habite dans le pays d’En Haut, une petite enclave francophone au milieu de la suisse allemande. Le paysage est composé de forêts, de champs, de pentes à 20% et de grands chalets. C’est splendide ! Même dans cette petite vallée, le train est présent et relie toutes les villes entre elles. Le réseau ferroviaire Suisse est vraiment très développé et parfaitement adapté aux vélos. Les pistes cyclables y sont aussi extrêmement nombreuses, même en pleine campagne.

Le soir de notre arrivée, Philippe n’est pas disponible. Il doit aller à un concert à Château d’Oex, la petite ville du coin. Il nous ouvre tout de même leur ancienne maison pour que l’on puisse s’y installer. Sa femme et lui ont fais le choix d’aménager dans une maison plus petite juste à côté. N’ayant plus leurs enfants chez eux, ils souhaitaient rendre accessible leur grande maison pour accueillir des personnes dans le besoin. Dernièrement, ce sont des ukrainiens qui ont pu y séjourner quelques temps. Lors de notre venue, la maison était libre. Nous avons pu avoir chacun notre chambre.

Le village de Rossignère en pieds de montagne
Discussion avec Philippe

Pour nos repas, nous essayons d’être le plus économe possible en Suisse. Le coût de la vie et notamment des denrées alimentaires est très élevé pour nous français. A titre d’exemple, la baguette de pain est à 3 voir 4 francs suisse alors que la valeur d’un franc suisse est un peu près la même qu’un euro. On achète donc le strict nécessaire. Ce qui fait qu’arrivé à Rossinière, nous n’avons plus que quelques pâtes à déguster mais rien de transcendant. Philippe va gentiment nous chercher des patates, oignons, de l’ail et du fenouille confit. C’est l’occasion pour nous de se faire une magnifique petite salade avec les légumes de son jardin.

Après une nuit bien reposante, nous prenons le petit-déjeuner avec Philippe et Adrienne. Nous avons la chance de goûter le miel que Philippe confectionne lui-même. On prend ensuite toute la matinée pour échanger avec lui autour des micros sur la terrase.

Philippe est biologiste de formation. Il est venu habiter dans le Pays d’en haut par opportunité professionnelle. En effet, pendant longtemps, il a travaillé pour une association responsable de la gestion d’une réserve naturelle. Il faut savoir que la Suisse possède très peu d’espaces naturels protégés. L’état fédéral ne fait pas grand chose dans le domaine. Ainsi, certaines associations se sont créées pour acheter elles-mêmes des terrains et protéger des milieux riches en biodiversité. Celle dont était en charge Philippe a pendant longtemps été la plus grande zone protégée de Suisse. A ce poste, son rôle était de faire en sorte que les différents usages présents au sein de la réserve naturelle soient le moins impactant pour la nature.  C’est à ce moment là qu’il a commencé à s’intéresser à l’assainissement. En effet, il était alors amené à conseiller des éleveurs sur la mise en place de systèmes d’assainissement afin de réduire leur pollution sur le milieu.

Phillipe est quelqu’un de très observateur. Il est capable de passer des heures à observer, scruter et comprendre le fonctionnement des écosystèmes vivants. C’est en étudiant la vache et leurs bouses qu’il commence à s’intéresser aux vers de terre. Il découvre alors leur rôle indispensable dans les processus de dégradation de la matière organique. Parmis les nombreuses espèces de vers, il se focalise plus particulièrement sur ce que l’on appelle les « vers de composte », ceux de la famille Eisenia. Petit à petit, il arrive à comprendre les conditions favorables à leur développement, les matières organiques qu’ils préfèrent, leur cycle de reproduction, etc. C’est comme cela qu’il a commencé à faire du lombricompostage.

Après quelques expérimentations dans le monde agricole, il décide de transférer son savoir sur l’assainissement individuel. Pour cela, c’est chez lui qu’il commence. Il met en place des toilettes sèches et fait des expérimentations sur le lombricompostage des excrétions humaines. Il se rend vite compte que les urines ne doivent pas être mélangées avec les matières fécales. Les vers se noient alors dans les matières et n’apprécient pas la trop forte concentration en azote des urines. A l’inverse, enlever les urines supprime certains nutriments spécifiques tel que le souffre dont a besoin la microfaune pour se développer. Il préconise donc d’arroser de temps à autre les matières avec un peu d’urine afin d’apporter un peu d’humidité au lombricomposte et ces nutriments spécifiques. A savoir qu’un lombric est un peu comme un intestin.  Il contient une flore bactérienne très riche qui dégrade la matière lorsque le lombric l’ingère. Après digestion, la matière prédigérée est relâchée dans le tas de compost. Les bactéries y sont ainsi disséminées et réparties de façon plus homogène. Les vers de terre ont ainsi le rôle de mélangeur de la matière organique et de dissémination des bactéries. Ces dernières vont alors finaliser le processus de dégradation de la matière organique. Toutes ces actions rendent le procédé de lombricompostage plus efficace et plus rapide que le compostage habituel. Le fait de séparer l’urine permet déjà d’avoir des quantités de matières plus faibles à traiter mais en plus, une grande partie de la biomasse est évacuée dans le procédé sous forme de gaz. Les quantités finales obtenues sont alors très faibles, ce qui permet de n’avoir quasiment jamais besoin de vider le lombricomposteur.

Après ces expérimentations personnelles, il décide de quitter l’association pour laquelle il travaille et de se mettre à son compte. Pendant plusieurs années, il conseillera ainsi un grand nombre de particulier autour de chez lui. Il fait petit à petit parler de lui. C’est sa rencontre avec un architecte Genevois qui lui permettra d’agrandir son échelle d’expérimentation. L’architecte en question est alors en charge de la construction d’un bâtiment pour une coopérative d’habitants (voir article aneco). C’est l’opportunité pour Philippe de concevoir d’autres modèles de traitement : la micro-station d’épuration à vermifiltre. Cet ouvrage est aujourd’hui situé en pied d’immeuble dans la cour et permet de traiter les eaux d’environ 200 habitant.e.s.

Cette première aventure lui a ensuite ouvert d’autres portes. Sa dernière invention ? Le cacarrousel ! Il s’agit d’une cuvette de toilette sèche en forme circulaire dans laquelle le lombricompostage des matières fécales a lieu. Ces toilettes ont été installées en milieu urbain, notamment dans des immeubles. Les toilettes des appartements sont petites. C’est donc un véritable exploit d’avoir pu relever le défi et concevoir un système de lombricompostage aussi optimisé. Dans ce cas, bien évidemment, les urines sont séparées et envoyées dans une cuve de stockage située à la cave.

Philippe nous présente le fameux cacarrousel
Le frugal jardin de Philippe, fertilisé à l’urine !

Ce qui est vraiment intéressant avec Philippe, c’est son côté observateur et sa volonté de « faire avec le vivant ». Chaque installation est une nouvelle expérimentation. Il a désormais plus de 10 ans de recul sur les systèmes qu’il a développé. Toutefois, le vivant demande beaucoup d’attention et peut évoluer avec le temps. A chaque nouvelle installation, il est confronté à de nouvelles problématiques. La dernière en date était la présence de moucherons dans certains cacarousel. Il n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi ces moucherons sont présents dans une installation et pas dans l’autre. Toutefois, il teste aujourd’hui différents produits dans l’objectif d’éradiquer les moucherons sans impacter les lombrics. Tout récemment, il a découvert l’existence d’une bactérie mangeuse d’oeufs de moucherons. Il a donc conçu une solution ensemencée par cette bactérie que les usagers appliquent 1 fois par semaine dans le lombricomposteur.

Philippe souhaite aujourd’hui partir à la retraite et se consacrer à d’autres thématiques. Il s’est donc regroupé avec un groupe de jeunes genevois au sein de l’association aneco. L’objectif de l’association ? Transmettre tout le savoir que Philippe a accumulé sur toutes ces années, continuer à développer et expérimenter ces différents systèmes de lombricompostage. Toutes les solutions qu’ils mettent en place sont aujourd’hui principalement basées sur des résultats empiriques. Mais cette année, une membre de l’association aneco a démarré une thèse avec l’Eawag (cf article précédent) pour étudier ces systèmes. Philippe est ravie de voir que d’autres s’emparent de ces sujets !

On termine cet interview de plus de 2h en visitant son jardin. C’est un vrai havre de paix au sein duquel il expérimente l’amendement en lombricomposte de matière fécale humaine et la fertilisation par de l’urine brute humaine. C’est aussi un fin connaisseur des besoins de chaque plante.

A midi, nous repartons déjà en direction de Lausanne pour rencontrer l’entreprise Piss & Love. Un grand merci à Adrienne et Phillipe pour leur accueil !

Une réflexion au sujet de « Philippe Morier-Genoud »

  1. Et dire qu’il faut aller voir sur la toile pour avoir de vos nouvelles,
    ayant déménagé à Ollon juste de l’autre côté de quelques montagnes de chez vous. La Suisse a finalement voté pour la nature mais loin de la nécessité qu’elle aurait besoin, mais encore trop loin de la limite que nos élus ont lâchés et 2050 est encore bien trop pour faire les actions urgentes à prendre maintenant et non demain. Les premières mesures qui avait été mises c’était déjà en 1972 avec la première crise pétrolière avec les dimanches sans voitures mais depuis presque rien de significative pour le climat. Il y a encore dix ans la Suisse était dans les deux à trois premières nations à faire quelques choses pour le climat et maintenant on est 8~10 ème au classement

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